Deux mois d’impasse, chroniques de l’Italie (I)
Finalement, le 28 avril, le nouveau gouvernement italien a prêté serment devant Giorgio Napolitano, réélu Président de la République pour les prochaines 7 années. Le gouvernement, guidé par Enrico Letta (Partito Democratico, centre-gauche), est la tentative, fortement encouragée par Napolitano même, de donner au Pays un exécutif stable et basé sur les larghe intese : à savoir soutenu par les deux formations antagonistes, le PD de centre gauche et le PDL, parti de centre droite guidé par Silvio Berlusconi. La naissance d’un nouveau gouvernement, plus de deux mois après les élections avec lesquelles les italiens ont choisi leurs nouveaux représentants, a été salué par la presse nationale et internationale avec un soupir de soulagement, car a mis fin à la situation d’instabilité et incertitude qui bloquait le parlement italien depuis fin février.
Pendant deux mois la situation politique italienne a semblé tourner en ronde, et les partis politiques se sont trouvés à faire face à celle qu’a l’air d’être leur pire crise depuis le scandale Tangentopoli[1], qu’au début des années ’90 bouleversa le panorama politique italienne jusqu’au point de provoquer le passage de la première à la deuxième république.
Mais, lorsque les partis politiques discutaient et le temps passait, la situation de l’économie réelle et le niveau de vie des italiens a continué à empirer : 6,4[2] millions d’italiens sont sans emploi, c’est-à-dire le 22,7% de la force de travail national. Les données sur le chômage des jeunes sont encore plus effrayants: plus d’un jeune dur trois (le 35,3%), entre 15 et 24 ans ne travaille pas, ni étudie. Mais la manque d’emploi n’est qu’un des visages de la crise; un autre c’est celui des entreprises qui ferment à cause des retards dans les payements par les administrations publiques : sont au moins 15 000 depuis 2008[3]. Face à cette situation nombreuses associations d’entrepreneurs, ainsi que les syndicats des travailleurs n’ont demandé qu’une chose à la politique : « Faites vite! »
Les élections et la fin d’un bipolarisme imparfait
Les italiens ont voté leurs représentants au Parlement le 23 et le 24 février : l’Italie est une République parlementaire, cela veut dire qu’une fois que les citoyens ont voté pour le Parlement le parti qui a obtenu la majorité relative des votes est chargé de former une équipe de gouvernement qui arrive à obtenir la confiance des deux chambres (en Italie est en vigueur le bicaméralisme égalitaire, en raison duquel les deux Chambres ont des pouvoirs identiques[4]).
Les élections de février ont donné le pire résultat possible en termes de gouvernabilité : la coalition de Centre Gauche, guidé par le PD gagne à la Chambre d’environ 200 000 votes, mais n’arrive pas à avoir la majorité au Senat où la répartition des sièges est faite sur base régionale.[5] Le PDL, parti de Berlusconi, sur qui les sondages donnaient pour imprésentable seulement quelques mois plus tôt, recueille le 22% du consensus et avec sa coalition s’arrête à un point perceptuel du PD. Mais le véritable choc est constitué par le résultat du Movimento 5 Stelle, le mouvement de l’ex humoriste Beppe Grillo, qui a conduit une campagne électorale basé sur la dénonciation de la corruption des milieux politique et qui a amené au Parlement 108 députés et 54 sénateurs. Le modus operandi du M5S, basé sur la participation des citoyens grâce à les nouvelles technologies (consultations avec la base, directes streaming des réunions du parti…), constitue sans doute la plus grande nouveauté de ces élections. Mais, si le premier résultat visible des élections a été la non-gouvernabilité du Pays, car aucun parti ne pouvait pas former un gouvernement sans faire des accords avec les autres, la deuxième conclusion à tirer c’est que le rêve du bipolarisme, longtemps caressé par les élites italiennes est définitivement tombé en miettes. La politique italienne, toujours réfractaire au bipolarisme (et toutes consultations électorales l’ont démontré), a eu une fois de plus la demonstration de l’inapplicabilité de ce schéma dans le Belpaese.
En un premier moment Pierluigi Bersani, leader du PD a été chargé de former un gouvernement, mais après une semaine des consultations avec les autres formations a été évident qu’un gouvernement ne pouvais pas être né au Parlement : d’un côté une alliance avec le PDL semblait impraticable pour le Parti Démocratique, car la base ne l’aurait jamais accepté. De l’autre côté le M5S ne voulait pas faire de compromis, en déclarant qu’il aurait voté cas pour cas selon conscience, mais sans voter la confiance à l’exécutif. Le Président Napolitano a alors convoqué une commission de 10 ‘savants’, chargés de rédiger une liste de priorités à utiliser comme à utiliser comme mémorandum pour le prochain Président de la République et pour le prochain gouvernement. L’impasse se rajoutait à l’impasse : entré dans le dernier semestre de son mandat, le Président de la République ne peut plus, constitutionnellement, dissoudre les Chambres et fixer des nouvelles élections. Au même temps, échoués tous tentatives de trouver une majorité en Parlement, le Pays est resté sans un gouvernement encore pour longues semaines.
L’élection présidentielle ou la reddition des comptes
C’est dans ce climat de blocage qui a eu lieu la deuxième étape surprenante de ces mois : l’élection du Président de la République. Mais au lieu d’être le moment de la recherche de l’unité national, représenté par cette figure, l’élection du Président s’est transformé dans la reddition des comptes dans le PD. En un premier moment la stratégie choisie par le groupe dirigeant du Parti a été celle de l’ouverture à droite, en présentant Franco Marini, personnalité apprécié par le Parti de Berlusconi, comme président de la République, mais l’aile plus à gauche du Parti a voté compacte pour Stefano Rodotà, candidat du Mouvement 5 Etoiles. Après ils ont choisi le choc frontal avec le PDL, en proposant Romano Prodi, ancien président du gouvernement du centre gauche ; sur cette proposition, s’est consumé, si on peut le dire, la trahison. En réunion, tout le parti de Bersani se démontre enthousiaste et le nom de Prodi est accepté pour acclamation. Mais au moment de la votation[6] Prodi ne reçoit que 395 votes. Manquent à l’appelle 101 députés de son parti. Immédiatement le groupe dirigeant du PD annonce sa propre démission : ce parti, né par la fusion (jamais trop convaincue) entre des anciens communistes et des anciens représentants de la Democrazia Cristiana, qui depuis quelques temps navigue en très mauvaises eaux, à l’air d’être à la limite de la scission. Bientôt un congrès anticipé sera l’occasion pour trouver des nouvelles solutions et un nouveau groupe dirigeant. Et ils sont beaucoup à regarder avec intérêt à Matteo Renzi, jeune et ambitieux maire PD de Florence, qui, battu à la primaire par Bersani, est intervenu plusieurs fois dans le débat politique national au moment de l’élection du Président.
Pour sortir du cul-de-sac de l’élection du président de la République, les partis, en particulier PD et PDL ont fait une opération jamais vu dans l’histoire de la République, en insistant avec Giorgio Napolitano pour lui proposer un deuxième mandat. Même si à contrecœur l’ancien communiste a accepté, et le 22 avril 2013 est devenu le premier Président italien à succéder à soi-même.
Réélu, pratiquement contre sa propre volonté, Giorgio Napolitano n’a pas épargné les critiques envers les mêmes partis qui l’ont ramené au Quirinal, en en stigmatisant le manque de courage et l’irresponsabilité. Phiippe Ridet, correspondant en Italie pour Le Monde a écrit : «[…] ce second septennat symbolise la défaite, pour ne pas dire le naufrage, de la politique, la manifestation de sa panique, de son absence d’imagination. Incapables de s’entendre sur le nom d’un candidat, les parlementaires italiens ont donné la mesure de leur médiocrité».
Gloria Liccioli
[1] Mani pulite (en italien, « Mains propres ») désigne une série d’enquêtes judiciaires visant des personnalités du monde politique et économique italien. Les enquêtes mirent au jour un système de corruption et de financement illicite des partis politiques surnommé Tangentopoli (de tangente, « pot-de-vin » et de poli, « ville » en grec). Des ministres, des députés, des sénateurs, des entrepreneurs et même des ex-présidents du conseil furent impliqués.
[4] Article 55 de la Costitution.
[5] Une des causes de cette impasse est la loi électorale du 2005 : définie comme « Porcata» (« cochonnerie ») par Roberto Calderoli, le même ministre qui l’avait écrite, cette loi a été longtemps critiquée et plusieurs fois les différents partis politiques se sont engagés à la modifier. Néanmoins aucun gouvernement ne l’a encore fait.
[6] L’élection du Président de la République est effectuée par les deux chambres réunies avec les représentant des régions.